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samedi 22 octobre 2011

L’évolution de l’image des rugbymen

Comme il a été constaté lors du rassemblement de basket NBA du 17 & 18 septembre à Paris, les gabarits ont changé, fini les joueurs maigres maintenant place aux muscles aussi.
Il en est de même au rugby. Le rugby a changé, les photos aussi.
Longtemps confiné au monde amateur, le rugby a subi une profonde mutation depuis son passage au professionnalisme. En l’espace de quinze ans, alors que le respect des traditions imposé par les dirigeants britanniques et le souci de préserver les « valeurs » de l’ovalie avaient agi jusque là comme un frein pour le développement du jeu, tout s’est brusquement accéléré à un rythme effréné. Nouvelles règles, modification des phases de jeu, transformation de la morphologie des joueurs, médiatisation considérable... rien n’a échappé à la mondialisation du rugby. Mais la « grande famille » de l’ovalie, qui a longtemps trouvé dans cette discipline une culture à vivre plus qu’un sport à pratiquer, pourra-t-elle survivre à cette soudaine métamorphose ?




Anas Mansour

Kevin Fortin va vous montrer les transformations, l’évolution qui s’est opérée tant culturellement, en passant par l’évolution rapide du jeu pour s’attarder un peu plus sur les changements même de l’image des joueurs. Et pour se faire, il sera aider d’un ami rugbyman et préparateur de joueurs de rugby à XIII. Son consultant sera Anas Mansour. Le rugby a changé, les rugbymen aussi.
Afin d’avoir un point de vue sur l’évolution de l’image des rugbymen vu de l’intérieur, je vous présente mon consultant, Anas Mansour, originaire et habitant Casablanca ( Maroc ), 25 ans, joueur de rugby à XIII et préparateur physique et manager. 1m80, 100kgs. 11 ans de pratique ovalique première division marocaine, diplômé d’une licence en management touristique. Poste au rugby à 15, 3eme ligne aile, et au rugby à 13, pilier ou second ligne.

I/ Les changements au niveau culturel et environnemental
En 1995, peu avant que le coup d’envoi de la troisième Coupe du Monde de l’Histoire ne soit donné à l’Ellis Park de Johannesburg, Robert Murdoch, le magnat de la presse, australien, est l’instigateur de deux nouvelles compétitions, le Tri Nations et le Super 12. L’ordonnateur de ces projets souhaite ainsi offrir un nouveau visage au rugby, hyper spectaculaire et dont les équipes participantes, franchisées, n’auraient pas le souci de se maintenir ou non dans l’élite. En France, même si le temps où des clubs comme La Voulte ou Mazamet atteignaient la finale du championnat est bel et bien révolu, on défend encore le rugby « cassoulet », terreaux de notre culture, et l’esprit de clocher ne semble pas menacé. Le 27 Août 1995, l’International Rugby Board autorise officiellement les joueurs à obtenir le statut professionnel, le monde de l’ovalie se fragmente avec, d’un côté, le rugby des traditions et, de l’autre, celle des innovations. La coupe d’Europe voit le jour dans la foulée et sur le plan national, une élite constituée de seize équipes est mise en place, rejetant ainsi de nombreux clubs historiques n’ayant pas une assise financière suffisamment stable. Les clubs de village disparaissent petit à petit du paysage rugbystique français, au dépend de ceux des grandes villes pour qui il est plus facile d’obtenir l’accord de partenaires économiques majeurs et des subventions de la part des municipalités, intéressées par cette nouvelle vitrine médiatique qu’offre le rugby.

Kevin « Et au Maroc, qu’en est-il ? »
Anas « Si on parle du cas rugby marocain, ça n’a pas trop évolué à mon avis, il n’y a pas de continuité pour les joueurs une fois arrivés en catégorie senior. Il y une stagnation. Pour le cas français, ça a évolué par rapport aux années précédentes. Cela se traduit par le professionnalisme. On voit que tous les clubs investissent dans les dernières infrastructures. Pour le rugby à 13 il a aussi évolué mais il manque de médiatisation. »

Kevin « La professionnalisation du rugby est un fait majeur dans le changement connu par le rugby. »
Anas « Oui avec le professionnalisme, il faut avoir de gros moyens, des sponsors. Une partie de ces moyens réside dans le marketing, exemple le tee short rose du XV de France. Cela se vend bien, cela fait rentrer de l’argent. »

Rugby à XIII

Kevin « Tu peux m’expliquer le plus en détail possible les différences entre rugby à 13 et rugby à 15 au niveau évolutif de la chose. Les évolutions connues et subies depuis que tu y joues, d’un point de vue renommée culturelle (impact populaire à sponsoring...recrutement, entraînement, enjeu...) »
Anas « Me concernant, je n’ai jamais joué de match officiel de rugby à 13 ,mais je suis coach de rugby à 13 j’ai fait une formation à Londres avec la Fédération Européenne, je pense que le rugby à 13 commence à faire plus de public que celui à 15, ce dernier ayant pourtant plus de moyens que le rugby à 13. Concernant l’entraînement, pour le rugby à 13, c’est plus physique et plus technique. Le 13 demande beaucoup de vitesse et de bonnes conditions physiques. Faut être présent à chaque contact.
Je pense que le rugby à 13 est plus accessible que le rugby à 15. Pour les enjeux au Maroc actuellement, il n’y a pas encore de Fédération Marocaine de Rugby à 13, mais on a de très bons joueurs de rugby à 13 en France qui demandent toujours à jouer avec le Maroc. »

Le rugby devient dès lors un spectacle. Pour attirer une nouvelle clientèle, en plus du match, le président du Stade Français rivalise d’imagination et offre aux spectateurs des grand-messes dignes du Superbowl américain. Une façon d’éloigner encore un peu plus le rugby de son image « confit - foie gras » et de faire mousser financièrement un sport longtemps attaché aux valeurs de l’amateurisme. Mais à trop vouloir capitaliser sur le sport business, le rugby risque bien de perdre son âme. D’un point de vue économique et médiatique, les choses vont dans le bon sens mais il n’est pas certain que le côté paillettes et show-biz ne dénature pas à terme l’identité du rugby.

Kevin « Quels sont les changements que tu as pu voir ou et subir depuis que tu joues ? »
Anas « Les changement au cas Maroc je l’ai vu dans les catégories jeune il y avait une continuité je sentais que je jouais pour un objectif et aussi pour le plaisir, le partage avec mes coéquipiers, mais une fois arrivé dans la catégorie senior il y une stagnation, pas de motivation, pas de plaisir.. etc.. Dans les catégories jeunes, il y a avait de l’ambiance, de la convivialité ..etc en gros il y avait les vraies valeurs du rugby. Dans les catégories jeunes, aussi on sent qu’il y a plus de préparation physique, mais le souci, ici, c’est qu’il n’y a pas trop de moyens dans les clubs marocains. »

Au niveau des règles de jeu, là aussi, du changement s’est opéré. Pour que le grand public adhère massivement à ce rugby contemporain, dans lequel les traditionnelles « boites à baffes » sont devenues proscrites, il a fallu faire évoluer les règles. Dès 1992, afin d’inciter les joueurs à privilégier le jeu de mouvement, aux coups de pied de pénalité, l’essai inscrit a été récompensé d’un point supplémentaire. Plus récemment est apparu le bonus offensif, venu, comme la plupart des grandes innovations rugbystiques, de l’hémisphère sud. Il a également été créé la « pénaltouche » permettant à l’équipe victime d’une faute de récupérer le cuir sur un dégagement en touche, au lieu de tenter la pénalité. Les règles du rugby étant relativement complexes au départ, et par souci de clarté afin de toucher un maximum de gens, des adaptations ont aussi été appliquées dans les phases de conquête. Ainsi, il a été autorisé de soulever les sauteurs en touche. Le plaquage, indissociable du rugby, a ainsi bien changé. Aujourd’hui, pour être efficace, il faut plaquer le plus souvent au dessus de la ceinture pour bloquer à la fois l’adversaire et le ballon. Autre geste technique qui a fait son apparition, le Rucking.
Afin de jouer avec ces nouvelles règles, il a fallut aussi changer les entraînements et du coup, les morphologies ont changées.

Anas « On voit aussi que l’image du rugbymen a changé. Ils font plus interview, on les voit dans des pubs pas forcément sportives mais pour des bonnes causes aussi : sida cancer, ..etc. »

Kevin « On les voit sur les calendriers des Dieux du Stade ou en 4/3 pour des sous-vêtements masculins par exemple...en plus morphologiquement ils ont changé aussi, on est passé d’un poids moyen de 86 à 95 kgs »
Anas «Oui , exactement, voilà. Ils ont évolué et ils font beaucoup plus attention à ce qu’ils mangent. C’est fini les repas gras, que de la bonne diète afin qu’ils soient plus performants »

Kevin « De 1960 à aujourd’hui on est passé du bourrin qui mange du cassoulet comme hors d’œuvre à des Apollon »
Anas « Oui (rires). On les voit plus nus avec les tablettes de chocolat qu’avec de gros ventre. »

Guy Noves en 1988

II/ L’évolution de l’image
L’image du « petit gros » placé au poste de pilier et du frêle jeune homme positionné dans le rôle d’ailier a vécu. Aujourd’hui, les joueurs qui pénètrent sur la pelouse sont des machines préparées avec talent, minutie et opiniâtreté. La récupération, la diététique et le travail psychologique sont autant de paramètres qui font partie intégrante du rugby moderne, sans parler des séances de musculation quotidiennes.

Kevin « La notion de musculature est importante donc, cela a aussi changé je pense avec les années...une plus grosse prépa peut-être ? Non, toi par exemple, tes prépas ressemblent à quoi? »
Anas « Oui faut une grosse prépa pour moi, par exemple, je fais beaucoup de fractionné et du footing et de la muscu et aussi une bonne diète. La diète joue un rôle important dans la préparation car si tu défonces à la salle de muscu et qu’après tu te tapes 3 big mac chez Mc Do, ça va pas le faire, donc j’essaie de manger équilibré le plus possible. »

De même, le poids moyen d’un joueur français est passé de 86 kg en 1988 à 95 kg aujourd’hui. On est en droit de douter du « tout physique », mais lors des dernières Coupes du Monde, les équipes les plus performantes étaient celles qui avaient les avants les plus costauds. En effet, les lois de la physique sont formelles, plus un joueur est lourd et plus sa vitesse est importante, plus sa puissance d’impact sera grande. Il avancera donc au contact de l’adversaire, pour le mettre aussi en difficulté par une intensité que l’on peut quantifier en temps de jeu effectif et qui est passé, en l’espace de quinze ans, de 30% à l’aube du professionnalisme à plus de 45% aujourd’hui en Top 14, et même proche de 50% en Super 14.

Kevin « Avec ces changements de poids (sans jeu de mot), du coup les postes s’en trouvent un peu bousculés, surtout s’il on en vient à comparer 13 au 15. »
Anas « Chaque poste est différent et aucun joueur n’a vraiment de morphologie spécifique. Il n’y a pas une morphologie spéciale mais il faut être au moins bien musclé. Chaque poste a plus ou moins sa spécificité. »

Kevin « Ah bon donc un pilier de mêlée peut aussi être ailier droit ou buteur ??? »
Anas « Ca dépend car chaque joueur a sa morphologie par exemple un 3ieme ligne au rugby à 15 peut jouer centre au rugby à 13 s’il est rapide. Mais au rugby à 13 faut être rapide à tous les postes. »

XV de France en 1951

L’image du rugbyman a également évolué pour arriver à celle du « macho-glamour ». « Les rugbymen ont vu leur image devenir glamour ! Et leur emblème, le polo de rugby, l’est devenu également ». Un terme a été crée pour désigner ce phénomène vestimentaire issu de l’Ovalie : le « rugbywear » qui s’inspire de l’univers de ce sport, de son histoire et des ses valeurs. Ce terme a également des connotations de décontraction, de confort sans faire l’impasse sur l’élégance.
Les joueurs ont changé. Les charges d’entraînements en ont fait des Dieux du stade, icône des femmes et des gays.
Longtemps, l’image du rugbyman s’est résumée à celle d’une brute à la mine peu engageante. Les héros étaient le pilier ventru, le colosse aux oreilles en chou-fleur. Des hommes sans peur, mais pas sans reproche.
Le coup de maître, Guazzini le réussit en 2001 avec le calendrier des Dieux du Stade. Les joueurs y dévoilent leurs corps sculpturaux. Édition après édition, les 200 000 exemplaires s’arrachent. « Le calendrier a changé l’image des rugbymen auprès des femmes, se réjouit le président du Stade Français. Elles ont réalisé qu’il ne s’agissait pas de lourdauds mais de play-boys. »
Une révolution permise par la conversion, au milieu des années 1990, du rugby au professionnalisme. Fini les entraînements bi-hebdomadaires, place aux deux séances quotidiennes. Les joueurs deviennent des athlètes aux muscles saillants. Les corps sont mis en valeur par des maillots moulants. Les premières icônes apparaissent. En 2003, Frédéric Michalak devient le chouchou de ces dames. Moue rebelle, diamant à l’oreille, l’ouvreur toulousain s’improvise mannequin, défile et prend la pose. Avant de lancer, avec réussite, sa gamme de produits de beauté pour hommes. Au pays de Galles, Gavin Henson, pendant rugbystique du footballeur David Beckham, déchaîne les passions adolescentes. Le joueur avoue sans honte s’épiler intégralement et avoir recours aux séances d’UV. Chez nous, on apprend que l’irréductible guerrier Serge Betsen a recours au gommage et que Jérôme Thion, l’hercule du XV de France, se rase les jambes. Les « brutes » ont cédé la place à des hommes qui prennent soin de leur corps.
Comme nous venons de le voir, si les rugbymen sont passés du gros nourri au confit de canard au bel apollon, les photos ont évolué de même.

Le cliché "boue / rugby"

Fini l’époque des clichés éclaboussés de terre et de sang Pour les illustrations, il est intéressant de voir l’évolution de la photographie. Jusqu’au milieu des années 80, les photos de reportages, en majorité en noir et blanc, sont assez brut de cadrage, granuleuses, éclaboussées de mottes de terres et de sang, jamais bien nettes. Celles en couleurs sont des gouaches. C’est encore l’époque des maillots et des ballons sans marques, des troisièmes mi-temps qui durent trois fois le match avec le cassoulet considéré comme un hors d'œuvre. Les matchs (du Tournoi des V nations) se jouaient le samedi après-midi.


Equipe de rugby 1980


Saison 1987/88, c’est le tournant du match entre le noir et blanc et la couleur. Elle prendra définitivement le dessus vers 1990 (tiens, c’est aussi l’année de la diffusion de Photoshop). Après, tout se lisse progressivement. En 1995, c’est le passage au professionnalisme. Les sponsors, les contrats de joueurs ne supportent pas l’image approximative, le flou. Les pelouses sont de plus en plus vertes (y compris chez nous), les actions sont figées en statuaire.
Pour des raisons sanitaires, tout joueur blessé ouvertement est retiré du terrain (la tête blonde de Jean-Pierre Rives couverte régulièrement de sang est un document historique), les réformes ou changements des règles limitent aussi la casse. Puis, années 2000, les portraits prennent le pas sur les scènes de jeu.

La professionnalisation du rugby s’est traduite par l’arrivée en masse de la télévision (dont l’usage est d’ailleurs largement utilisé dans la recherche de preuves pour fonder les sanctions), des annonceurs publicitaires et, donc, de l’argent. Ce mouvement conjoncturel amène une contradiction pour un sport dont les vertus originelles sont antithétiques avec le lissage exigé par sa diffusion à un public plus large et sa spectacularisation. Dans le rugby professionnel, la culture spécifique du combat et la tolérance à la violence vient s’encastrer dans les représentations modérées, attachées à la pratique professionnelle (amoindrissement de la culture festive et culinaire chez des joueurs soumis à des contraintes de récupération et de musculation) et aux annonceurs (dénonciation des brutalités). En dépit de sa relative fermeture, le champ rugbystique, surtout au niveau professionnel, subi ces transformations.
Allez les jeunes, si vous aimez le rugby, chaussez vos crampons et roulez vous dans la boue…rendez-vous en troisième mi-temps !


Article rédigé par Kevin Fortin


Pour me contacter : manager@gregory-capra.com

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